Presentación

Michel Riaudel et Sandra Teixeira
CRLA-Archivos, Université de Poitiers
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« Cette littérature ne compte aucun chef-d’œuvre au sens classique du terme, mais l’ensemble est saisissant et son pouvoir de fécondation est remarquable. Tous les arts au Brésil lui doivent quelque chose et de plus en plus (1) ». C’est ainsi que Raymond Cantel concluait en 1979 l’un des nombreux articles qu’il consacra à la littérature de cordel, présentée comme un véritable trésor et une source d’inspiration toujours renouvelée. Ayant pour foyer le Nordeste brésilien qui l’a vue naître sous sa forme imprimée au tournant du XIXe et du XXe siècles, la littérature de cordel a essaimé bien au-delà de ces frontières régionales et continue à être divulguée grâce aux typographies, aux maisons d’édition et aux revendeurs…, mais aussi grâce à Raymond Cantel, qui aurait eu cent ans en 2014.
Professeur de portugais, ancien doyen de notre Faculté des Lettres et des Langues et co-fondateur du Centre de Recherches Latino-Américaines à Poitiers, Raymond Cantel fut un pionnier des études sur la littérature de cordel brésilienne en France et de la cantoria, sa forme orale : « La littérature des folhetos est plus faite pour l’oreille que pour l’œil. Tel vers boiteux sur le papier ne l’est pas du tout à l’audition (2) ». Il est adulé au Brésil, où il a contribué à explorer la richesse de cette littérature populaire trop souvent méprisée, selon lui, et à lui donner ses lettres de noblesse en en faisant un objet d’étude à l’étranger. Il a patiemment collecté des milliers de folhetos, au gré des conférences et des amitiés nouées avec les poètes et artistes brésiliens. Il a ainsi laissé à l’Université de Poitiers un fonds unique de « cordel », l’un des plus importants d’Europe, devenu le « Fonds Raymond Cantel ».

Dans le cadre du projet « Corpus Cordel/Cantel », soutenu par la MSHS de Poitiers, l’équipe lusiste du CRLA-Archivos relance depuis 2010 des actions de valorisation de ce fonds. Pour conserver ce patrimoine imprimé sur un support fragile, et le rendre accessible aux chercheurs du monde entier, une base de données numérique, Biblioteca Virtual Cordel (3), fruit d’une collaboration entre les laboratoires du CRLA et du FoReLL, le service commun de services numériques de l’Université de Poitiers I-Médias, le Service Commun de la Documentation et la MSHS, a vu officiellement le jour le 16 octobre 2014. Cette base de données est destinée à être élargie au fil du temps et souhaite servir de pôle de référence au monde très morcelé et dispersé du cordel, dans une perspective non de centralisation, mais de fédération des informations disponibles (localisation des fonds, consultation de catalogues à distance…). Ce corpus servira ainsi de base à une série d’études visant à exploiter les relations entre imaginaire et histoire dans la littérature de cordel.
Après plusieurs tables rondes et colloques consacrés au cordel (4), les manifestations « Viva Cordel ! » (Poitiers, 15-17 octobre 2014) ont constitué un point d’orgue de ce travail de valorisation du fonds, l’année même du centenaire de la naissance de Raymond Cantel. Les sept folhetos que les poètes brésiliens et ses étudiants de la Sorbonne lui ont consacré ont naturellement retenu notre attention, parce qu’ils associaient l’hommage et le matériau qui lui était cher. C’est pourquoi nous les avons réédités en version bilingue, grâce aux étudiants de la licence « Langues, Traduction et Médiation Interculturelle » et sur un projet graphique original élaboré par ceux du master « Livres et médiations ». Ces vers, variés, alternent l’éloge et l’esprit facétieux, ludique, de cette poésie populaire, le texte et l’image. Avec le soutien de l’Action Culturelle de l’Université de Poitiers, nous avons aussi réalisé une grande exposition sur le thème « Cordel entre enfer et utopie », une quarantaine de panneaux offrant une vue panoramique et thématique du cordel et de la collection Cantel, complété de panneaux sur le savant et professeur et des bois gravés de Marcelo Soares.
Performances poétiques et musicales ont par ailleurs donné corps et voix à cet art, dont le colloque a analysé les dimensions langagière (parlures, oralité, analyse littéraire…), sémiologique (liens entre l’écrit, le chant, le dessin et la gravure), sociale (circulation et diffusion, contaminations esthétiques, vocation « pédagogique » et « informative » des folhetos…). Chercheurs et artistes ont aussi souligné ses ruptures avec le présent et le quotidien, le jeu des normes et de la transgression. Ce dossier est le reflet de ces échanges.

Une première partie est consacrée à l’évocation du professeur et chercheur passionné qu’était Raymond Cantel, par ceux et celles qui ont été ses étudiants, collègues et collaborateurs. Y est restituée toute la palette de ses champs d’intervention : littéraire, linguistique, civilisationniste… Une deuxième partie, « Le cordel, langage et formes », revient sur des volets spécifiques : le genre très singulier du marco, dérivant des joutes verbales et visant à la construction d’une forteresse imprenable ; le versant socio-culturel et didactique de l’œuvre de Manoel Monteiro et de Gonçalo Ferreira da Silva. La section « Itinéraires du cordel » s’intéresse aux circulations et avatars : les marques « médiévales » du cordel, particulièrement mises en valeur par Raymond Cantel ; les échos du théâtre portugais de cordel du XVIIIe siècle ; ou encore au dialogue fécond entre cordel espagnol et poésie populaire chilienne. Enfin, « Le cordel en images » se penche sur sa richesse iconographique, du dessin à la xylogravure.
Rappelons, pour conclure, que le lecteur pourra revivre l’intensité de ces journées, filmées et mises en ligne par nos collègues d’I-Médias, y compris le concert final donné par Augusto de Alencar et Paulo Iumatti (5). On y vérifiera que cette expression populaire unique est autant un trésor de « mémoires », jetant une perspective originale sur l’histoire brésilienne et mondiale du siècle dernier, qu’un répertoire qui, loin d’être fossilisé, est en constant renouvellement, ouvert aujourd’hui au format numérique.


Notas


(1) Raymond Cantel, “De Roland à Lampião ou la littérature populaire du Nordeste brésilien”, Etudes, Littératures orales, Paris, 1979, reproduit dans Raymond Cantel, La littérature populaire brésilienne, Poitiers, CRLA, 2005, p. 83.

(2)“Brésil. La littérature populaire imprimée”, Le Monde, Paris, 21 juin 1969, reproduit dans Raymond Cantel, ibid., p. 42.

(4) Colloques internationaux « Literatura de cordel et littératures populaires du Portugal et du Brésil : nouvelles lectures, nouvelles approches à l’ère du numérique » (CRLA, 2010) et « L’esprit, la lettre, l’image du “Cordel”, expression populaire, culture savante ? » (CRLA, 2011) ; table-ronde au sein du colloque international « Saveurs et savoirs » (CRLA, 2012). Les actes de ces deux journées et de la table-ronde ont été réunis en 2012 dans le volumineux n°6 de la revue Escritural. Écritures d’Amérique latine publiée en ligne par le CRLA-Archivos et disponible en éditions papier. Voir Escritural. Ecritures d’Amérique latine, n°6, dossier « Le Cordel en mouvement », Caio César Christiano, Paulo Iumatti, Michel Riaudel et Sandra Teixeira (dir.), décembre 2012 : http://www.mshs.univ-poitiers.fr/crla/contenidos
ESCRITURAL/ESCRITURAL6/ESCRITURAL_6_SITIO/TABLE/Table_6.htm

(5) Consulter le site UPTV, en entrant le mot-clé « cordel ».